Avec Patrick Artus, Estelle Brachlianoff, Jean-Marc Jancovici, Dominique Schelcher, Sabrina Soussan et animé par Martial You.
Verbatim
Estelle Brachlianoff : "La prise de conscience est là "
"Ce que nous disent nos concitoyens c'est : on veut des solutions concrètes."
"Il n'y a pas de transition écologique, il n'y a que des preuves de transition écologique."
"Il faut que nous rendions l'écologie désirable ! Par exemple, une ville qui a des véhicules électriques est une ville silencieuse !"
Dominique Schelcher : "L'inflation alimentaire en France est de 25 % depuis deux ans, mais en même temps les gens prennent conscience que les choses changent et les gens disent aujiurd'hui, je ne choisis plus entre remplir le frigo et préserver la planète, j'essaie de faire les deux."
"Le marché de l'occasion est une preuve que les comportements changent."
Jean-Marc Jancovici : "Va venir un temps où les crus physiques vont décroître... donc soit on gère cette décroissance, soit on attend que des chocs externes nous obligent à le faire."
"Nous n'avons pas aujourd'hui la boîte à outils pour gérer cette situation !"
Patrick Artus : "Nous allons changer de modèle économique ! Depuis 2017, nous sommes sur une rareté de l'offre. On va se tourner vers un nouveau modèle où la production sera limitée par les capacités physiques."
"Il y a tout de même un potentiel de progrès techniques, qui vont permettre d'augmenter certaines production."
"Ensuite, à partir de 2050, on devrait embrayer sur un ralentissement démographique."
Sabrina Soussan : "Il faut que tout le monde travaille ensemble autour de trois leviers : la sobriété, la réutilisation et enfin la production de nouvelles ressources."
"Il faut changer les comportements, mais pour cela il faut une certaine transparence pour aider les consommateurs à agir."
Jean-Marc Jancovici : "Quand une commodité essentielle devient rare, son prix devient extrêmement volatile."
"Il faut être très vigilent quand on affirme que ce qui est rare est cher."
Dominique Schelcher : "Nous sommes en phase de transition. A court terme, il faut passe ce cap ! Mais par l'innovation, on va trouver les moyens de dépasser cela."
"Il y a des changements majeurs, qui se font dans les comportements individuels et dans les comportements collectifs. Au mot sobriété, je préfère le mot anglais "suffuciency""
"Au Japon, la "sufficiency" devient même une esthétique... Cela consiste à consommer juste ce dont on a besoin."
Patrick Artus : "On sort d'une situation où on avait trop d'épargne, ce qui explique les taux d'intérêt bas que nous avons connus. Aujourd'hui, on a besoin de 5 points de PIB de plus que ce qu'on fait déjà au niveau mondial, donc on va manquer d'épargne."
"Nous sommes dans une situation transitoire, nous allons avoir une phase énorme d'investissements et de sobriété, mais à la fin, quand on aura constitueé un capital vert, tout ira mieux."
"Nous avons 25 à 30 ans d'efforts à faire pour réaliser tous ces investissements."
Dominique Schelcher : "Notre système de consommation n'est plus possible, il va falloir en changer."
"Il y a de la rareté partout, car la planète se dérègle ! Par exemple, on va manquer de jus d'orange en raison des catastrophes climatiques qui ont touché la Floride."
Sabrina Soussan : "Il faut des normes, mais elles doivent être adaptées pour permettre la mise en oeuvre des progrès technologiques."
Jean-Marc Jancovici : "Il va falloir inventer notre nouveau modèle socio-économique !"
"Aujourd'hui, on a pas le schéma mental pour gérer un monde de rareté physique."
Patrick Artus : "Il va falloir inverser la logique de toutes nos manières de penser."
Dominique Schelcher : "La souveraineté alimentaire française est en jeu."
Sabrina Soussan : "Il va falloir inventer les métiers de la rareté."
"Il ne faut surtout pas pousser les innovations technologiques en sacrifiant la sobriété, il faut les deux."
Pour aller plus loin
Il est difficile de prévoir avec certitude ce qui se passera en 2050, mais sur certaines ressources, l’énergie, l’eau, la production alimentaire… les préoccupations sont immenses. La croissance démographique mondiale et l’urbanisation croissante, avec en corolaire la diminution des terres cultivables et de la biodiversité, ne font qu’accroître le problème.
La pénurie d’eau potable est particulièrement préoccupante, et pour nombre d’observateurs, Peter Brabeck, le président de Nestlé en tête, « nous manquerons d’eau bien avant de manquer de pétrole ». Selon lui, l’humanité dispose de 4200 km3 d’eau potable par an que nous pouvons prélever de manière durable. Tout le surplus étant tiré de sources non renouvelables. Or aujourd’hui nous consommons déjà 5000 km3 par an. Cela ne se remarque pas tant qu’il y a de l’eau sous terre, mais nous vivons d’ores et déjà à crédit. La pénurie d’eau entraîne dans les régions du globe qui en souffrent, une pénurie de production alimentaire donc des risques de famines, de conflits et de migrations. Les pays en déficit hydrique sont incapables de produire la nourriture dont ils ont besoin et contraints d’importer cette dernière. En 2050, ce sera pire encore. La terre comptera 9,5 milliards d’habitants, les spécialistes estiment qu’il faudrait alors 11 000 km3 d’eau par an pour alimenter tout le monde au régime alimentaire actuel.
Pour satisfaire les besoins alimentaires des pays en déficit hydrique, certains observateurs ne voient que trois options : transférer de l’eau par grands canaux, comme a décidé de le faire la Chine, transférer de l’eau virtuelle sous forme de nourriture, ou en dernier ressort accepter la migration des populations des pays déficitaires vers les pays riches… D’après la Banque mondiale, si rien n’est fait, 143 millions de personnes pourraient devenir réfugiés climatiques d’ici 2050. Trois régions du monde sont particulièrement concernées : l’Afrique subsaharienne, l’Amérique latine et l’Asie du Sud.
Pénurie d’eau, exode, malnutrition, extinction d’espèces… La vie sur Terre telle que nous la connaissons sera inéluctablement transformée.
Autre grosse menace de pénurie à l’horizon 2050 : le pétrole et les énergies fossiles. Mais en ce domaine, fort heureusement la prise de conscience est bien meilleure (en tout cas chez nous), même si elle reste imparfaite, et les mesures prises suites aux mises en gardes répétées de tous les spécialistes devraient nous permettre d’aller vers une énergie bas carbone… à condition de ne pas oublier que 2050 se prépare dès aujourd’hui, car il n’y a plus de temps à perdre.
Respecter les 9 limites planétaires
Face à toutes ces menaces, des actions clés s’imposent afin de respecter les « 9 limites planétaires », mises en avant dès 2011 par Ban Ki-moon. Neuf processus et systèmes régulent la stabilité et la résilience du système terrestre : le changement climatique, la perte de biodiversité, l’acidification des océans, l’appauvrissement de la couche d’ozone, la pollution atmosphérique par les aérosols, l’utilisation d’eau douce, les flux biogéochimiques d’azote et de phosphore, le changement d’utilisation des sols, et le rejet de nouveaux produits chimiques. Des seuils à ne pas dépasser sont définis pour chacun d’entre eux, or ils le sont déjà pour quatre de ces limites parmi lesquelles deux sont particulièrement centrales : le changement climatique et l’intégrité de la biosphère.
L’une ou l’autre pourrait changer le cours de la trajectoire de la Terre et mettre l’humanité en danger. D’où l’importance d’une part de réduire drastiquement notre empreinte carbone en adoptant des pratiques de consommation responsables, d’autre part de protéger la biodiversité en évitant la déforestation ou l’utilisation abusive de pesticides et de produits chimiques. Bien sûr il faut aussi tout mettre en œuvre pour préserver les ressources en eau, en réduisant sa consommation, en favorisant le recyclage des eaux usés, en évitant la pollution des cours d’eau.
Promouvoir une agriculture durable est une autre piste cela implique d’encourager les pratiques respectueuses de l’environnement, de soutenir l’agriculture biologique et de limiter l’utilisation d’engrais chimiques.
Pour faire accepter tous ces changements, il est impératif de sensibiliser et éduquer les individus et les communautés à l’importance de préserver la planète. Les plus jeunes le sont déjà, reste à convaincre leurs ainés.
Toutes ces actions resteront lettre morte si elles ne sont pas également conjuguées à une coopération internationale pour trouver des solutions communes et pour définir des priorités politiques ambitieuses. Comme l’a récemment souligné le secrétaire général des Nations unies, António Guterres « nous avons déjà prouvé qu’ensemble, nous pouvons relever des défis monumentaux », mais il reste beaucoup à faire.
Vous avez dit sobriété ?
Toutes ces solutions appellent à une plus grande sobriété, mais comment faire en sorte que cela ne soit pas un frein à la croissance ? La sobriété est effectivement à l’honneur, le terme étant de plus en plus utilisé par les responsables politiques. Comment aller vers une « sobriété heureuse », comme le disait Pierre Rabhi ? Comment faire en sorte qu’elle devienne le fondement d’un nouveau modèle économique et qu’elle ne soit pas synonyme de décroissance ?
Dans l’histoire, la notion de « sobriété » a souvent été utilisée pour caractériser les comportements humains au regard de différentes valeurs reflétant la culture d’une époque. Aujourd’hui, la notion de sobriété est difficile à interpréter. C’est un concept opératoire pour à la fois rompre avec la société de surconsommation et respecter les limites planétaires. Elle questionne donc notre rapport à la consommation et à la possession.
En somme, la sobriété, c’est faire mieux, avec moins et limiter les consommations ostentatoires. Mais comme le souligne Dominique Méda, « comment imaginer que nous pourrons aisément diminuer nos consommations, nous tourner vers des produits durables, adopter de nouvelles pratiques si nous continuons à vivre dans un contexte où tout nous pousse à la surconsommation ? »
La conciliation entre croissance économique et sobriété nécessite donc des mesures politiques et économiques réfléchies : encourager une économie plus circulaire en favorisant le recyclage, la réparation et la réutilisation des produits. Promouvoir des modèles économiques axés sur les services plutôt que sur la possession de biens. Encourager le développement et l’adoption de technologies propres et à faible émission de carbone, en favorisant dans ces domaines l’innovation et la recherche. Mettre en œuvre des politiques et des incitations économiques et fiscales qui favorisent la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la transition vers une économie sobre en carbone. Ne pas se concentrer uniquement sur la croissance économique en tant que mesure du succès, mais tenir compte de facteurs tels que l’équité sociale, la qualité de vie et la préservation de l’environnement. Informer les citoyens sur les enjeux de la sobriété et de la durabilité, ainsi que sur les actions qu’ils peuvent entreprendre individuellement pour y contribuer.
De leur côté, les entreprises doivent ainsi revoir leurs procédés de fabrication. « Dans un contexte où les ressources naturelles sont limitées, la sobriété consiste à nous questionner sur nos besoins et à les satisfaire en limitant leurs impacts sur l’environnement », a récemment rappelé l’Ademe. Pour perdurer, il faudra donc s’adapter et souvent changer de modèle économique.
Il est important de reconnaître que la conciliation de la croissance et de la sobriété est un défi complexe et multidimensionnel. Cela nécessite une approche globale, impliquant des changements politiques, économiques, technologiques et sociétaux.
Et le progrès dans tout ça ?
Pour survivre et sauver la planète, faut-il en finir avec le progrès ? La question est complexe et suscite un débat intense parmi les penseurs, les scientifiques et le grand public. Et ce n’est d’ailleurs pas nouveau. Au quatrième siècle avant notre ère, Aristote disait déjà, « le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous ! » Si par progrès on entend « aller vers le meilleur », qu’est-ce que « le meilleur » ? Et vaut-il pour tous ou seulement pour quelques-uns ?
Le progrès a incontestablement apporté d’innombrables avantages à l’humanité. Il a permis d’améliorer la qualité de vie, de prolonger l’espérance de vie, de réduire la pauvreté, d’accroître la productivité et de faciliter la communication et l’accès à l’information. Le progrès scientifique et technologique a également permis des avancées majeures dans des domaines tels que la médecine, l’énergie propre et les transports. Même les adeptes du « c’était mieux avant » ne peuvent le nier.
D’un autre côté il serait malhonnête de passer sous silence les aspects négatifs du progrès : impact sur le réchauffement climatique et la pollution, menace sur la biodiversité, creusement des inégalités… Certains vont même jusqu’à l’accuser de tous les maux et la nostalgie fait rage. Mais de quoi parle-t-on, qu’en est-il exactement ?
D’après l’astrophysicien Aurélien Barreau, il semblerait que les conséquences négatives du progrès sur la planète soient établies. Mais, il affirme cependant qu’en trouvant des solutions immédiates, l’humanité et le reste de la planète peuvent encore être sauvées. De nombreuses initiatives existent qui prouvent que le progrès peut être utilisé à cette fin : alternatives au plastique, revêtement de sol capable de purifier l’air ambiant, éoliennes sans pales, potagers sous-marins, pneus biodégradables…
Aujourd’hui il semble nécessaire de redonner du sens au progrès en le centrant sur le bien commun et sur l’humain plutôt que sur le matériel et le profit. Cela implique de prendre en compte les conséquences environnementales et socio-économiques de chaque avancée technologique ou scientifique et de veiller à ce qu’elles profitent à tous, tout en en minimisant les risques. Le temps semble venu de renouer avec la confiance en l’homme et en sa capacité à générer un nouveau siècle des lumières.
Manquerons-nous de tout demain ? Comment préserver les éléments essentiels à la vie sur Terre ? Comment concilier croissance et sobriété ? Et si la réponse à la rareté des ressources, ce n’était pas simplement le caractère infini du progrès ?